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Discours au Club de Nicée du Métropolite Hilarion : une nouvelle alliance entre catholiques & orthodoxes ?

Le 9 septembre 2010, le Métropolite Hilarion de Volokolamsk, responsable du département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou, en visite officielle en Angleterre, s’est rendu au palais de Lambeth pour rencontrer Rowan Williams, archevêque anglican de Canterbury. Le soir même, le métropolite Hilarion a participé à l’assemblée annuelle du Nikean Club et prononcé un discours devant les participants.

Dans cet important & très intéressant discours, que nous donnons ci-après dans une traduction française non officielle réalisée par nos soins, Mgr Hilarion fait remarquer, poliment, mais très fermement, que le dialogue entre l’Eglise orthodoxe & les anglicans « est voué à la fermeture, si la libéralisation effrénée des valeurs chrétiennes se poursuit dans de nombreuses communautés du monde anglican ».

Il pointe en particulier l’impact désastreux qu’a eu sur ce dialogue l’ordination de femmes évêques :
« Nous avons étudié les documents préparatoires à la décision relative à l’épiscopat des femmes et nous avons été frappés par la conviction exprimée dans ceux-ci, que même si l’épiscopat des femmes était introduit, les contacts œcuméniques avec l’Eglise catholique et les Églises orthodoxes ne cesseraient pas. Qu’est-ce qui rend les auteurs de ces documents si certains d’eux ? »

Le Métropolite Hilarion introduit dans son discours une typologie tout particulièrement judicieuse en distinguant d’une part les chrétiens traditionnels & d’autre parts les chrétiens de tendance libérale. De manière significative, il a a fait allusion à une coopération croissante entre les Eglises orthodoxes & l’Eglise catholique romaine dans le but de rétablir l’âme chrétienne de l’Europe :

« Nous ne sommes pas seuls dans notre souci de la préservation des valeurs chrétiennes. Les tendances libérales dans les communautés protestantes et anglicanes présentent un défi pour les chrétiens et les églises qui sont restés fidèles aux principes de l’Evangile dans la doctrine, l’organisation ecclésiale et la morale. Très certainement, nous cherchons à trouver des alliés pour s’opposer à la destruction de l’essence même du christianisme. L’une des tâches principales de notre travail inter-chrétien d’aujourd’hui est d’unir les efforts des chrétiens pour la construction d’un système de solidarité sur la base de la morale évangélique en Europe et dans le monde. Nos positions sont partagées par l’Église catholique romaine, avec laquelle nous avons tenu de nombreuses réunions et conférences. Ensemble, nous étudions la possibilité d’établir une alliance entre orthodoxes et catholiques en Europe pour défendre les valeurs traditionnelles du christianisme. L’objectif principal de cette alliance serait de rétablir une âme chrétienne de l’Europe. Nous devrions être engagés dans la défense commune des valeurs chrétiennes contre la laïcité et le relativisme. »

D’un point de vue catholique, on peut dire que la relation ancienne & étroite qu’entretenait l’Eglise orthodoxe avec l’anglicanisme, – histoire que Mgr Hilarion rappelle longuement dans son discours -, était en partie inspirée par une méfiance & une résistance communes face à l’Église catholique romaine. Maintenant qu’il est évident que la Communion anglicane est en train de consacrer l’abandon d’une grande partie de ce qui est reconnu comme le patrimoine commun du christianisme traditionnel, tant sacramentel que moral, il est très positif de constater que l’Eglise orthodoxe voit désormais en l’Eglise catholique romaine une véritable alliée sur de nombreuses questions centrales. L’Eglise catholique a sans doute aussi à recevoir de l’Eglise orthodoxe, en particulier la redécouverte du sens de la célébration liturgique de la vie chrétienne et la réappropriation des ses traditions antiques. Notons enfin que Benoît XVI a contribué de manière significative à ce rapprochement qui se dessine.

*

Discours du Métropolite Hilarion :

« Monseigneur, Mesdames et Messieurs, distingués invités,

Tout d’abord, je tiens à exprimer mes plus sincères remerciements à Monseigneur l’Archevêque Rowan Williams de m’avoir invité à m’adresser aux membres du Club de Nicée. Monseigneur, nous apprécions beaucoup votre contribution personnelle au dialogue inter-chrétien et votre engagement à maintenir la Communion anglicane unifiée. Nous connaissons votre amour de l’Eglise orthodoxe russe, de ses saints et de ses grands théologiens, de sa tradition spirituelle. Nous vous assurons de notre soutien continu et de nos prières.

Nous apprécions hautement également le travail du Club de Nicée, qui vise à renforcer les relations et stimuler une coopération bénéfique entre les Eglises de la Communion anglicane et d’autres confessions chrétiennes.

Le nom du club – Nicée – nous ramène à cette bienheureuse époque où les chrétiens à travers le monde, tant en Orient qu’en Occident, ont été unis. Cette même époque, cependant, fut une période de lutte acharnée avec des hérésies et de nombreux schismes ecclésiaux. Grâce à l’unanimité à la fois des Pères Occidentaux & Orientaux dans la compréhension de l’enseignement de l’Église et unie par une foi inébranlable, l’Église universelle lors de ce Concile, en 325, a rejeté et a condamné une hérésie qui a sapé les fondements mêmes de la doctrine chrétienne. Au même moment, l’Église a pu formuler la foi en la Sainte Trinité, formulation qui a perduré à travers les siècles ultérieurs. Mgr Rowan Williams, dans son « Arius : Hérésie et Tradition », nous a fourni une analyse approfondie de l’arianisme par des perspectives historiques, théologiques et philosophiques. Il décrit l’arianisme comme une «déviance chrétienne archétypale», qui tend à se relever encore et encore, sous des noms différents.

En 325, l’Église chrétienne, qui émergeait tout juste d’une période de trois siècles de persécution, se révèle être forte et assez mûre pour discerner dans l’arianisme une déviance dangereuse de la doctrine orthodoxe. En adoptant le Credo de Nicée, l’Eglise n’a introduit rien de nouveau à son enseignement, mais plutôt a formulé avec clarté ce qu’elle avait cru dès le début de son existence. Les Conciles œcuméniques suivants ont continué à clarifier la vérité de l’Eglise sans y introduire quelque chose de fondamentalement nouveau à cette confession de la foi qui provient du Christ lui-même et de ses apôtres.

Pourquoi les Eglises, tant à l’Est et l’Ouest, se souviennent encore des Pères de Nicée et des conciles œcuméniques suivants avec une telle reconnaissance ? Pourquoi les grands théologiens du passé, les adversaires de l’hérésie, sont-ils vénérés en Orient comme « grands enseignants universels et saints  » et en Occident comme « docteurs de l’Eglise » ? Parce qu’à travers les âges, l’Église a cru que sa principale tâche fut la sauvegarde de la vérité. Ses héros étaient avant tout des confesseurs de la foi qui ont affirmé la doctrine orthodoxe et ont contré les hérésies, faisant face aux nouvelles tendances et innovations théologiques et politiques.

Près de 1700 ans se sont écoulés depuis le concile de Nicée, mais les critères qui ont été utilisés par l’Église pour distinguer la vérité de l’hérésie n’ont pas changé. Et la notion de vérité ecclésiale demeure aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’était dix-sept siècles plus tôt. Aujourd’hui, la notion d’hérésie, bien qu’elle soit présente dans le vocabulaire de l’Eglise, est manifestement absente du vocabulaire de la théologie contemporaine politiquement correcte – une théologie qui préfère se référer à «pluralisme» et parler des différences recevables et légitimes.

Certes, saint Paul lui-même a écrit que «il doit y avoir des différences entre vous pour voir qui d’entre vous ont l’approbation de Dieu» (1 Cor. 11, 19). Mais à quel genre de différences fait-il allusion? Certainement pas à celles qui touchaient à l’essence de la foi, l’ordre ecclésial ou la morale chrétienne. Car, dans ces questions, il n’y a qu’une seule vérité et toute déviance par rapport à elle n’est autre que l’hérésie.

Au moment du Concile de Nicée, l’Église est unie en Orient & en Occident. Mais à l’heure actuelle, il existe une multitude de communautés dont chacune prétend être une Eglise, même si les approches doctrinales, les questions ecclésiologiques et éthiques diffèrent souvent radicalement entre elles.

Aujourd’hui, il est de plus en plus difficile de parler de «christianisme» comme une échelle unique de valeurs spirituelles et morales, universellement adoptée par tous les chrétiens. Il est plus approprié, plutôt, de parler de «christianismes», c’est-à-dire, différentes versions du christianisme adoptée par diverses communautés.

Toutes les versions actuelles du christianisme peuvent être schématiquement divisée en deux grands groupes : traditionnelle et libérale. L’abîme qui existe aujourd’hui se divise pas tant les orthodoxes des catholiques ou les catholiques des protestants comme il le fait des  » traditionalistes » des « libéraux ». Certains dirigeants chrétiens, par exemple, nous dire que le mariage entre un homme et une femme n’est plus la seule façon de construire une famille chrétienne : il y a d’autres modèles et l’Eglise doit devenir de manière appropriée « inclusive » afin de reconnaître d’autres normes de comportement et de leur donner une bénédiction officielle. Certains tentent de nous persuader que la vie humaine n’est plus une valeur absolue, qu’il peut être résilié dans le ventre d’une mère ou que l’on peut mettre fin à la vie à volonté. Les chrétiens « traditionalistes » sont invités à reconsidérer leur point de vue sous le slogan de se tenir dans la marche de la modernité.

Malheureusement, il faut admettre que l’Eglise orthodoxe et beaucoup dans l’Église anglicane se retrouvent sur le côté opposé de l’abîme qui sépare les chrétiens traditionnels des chrétiens de tendance libérale. Certes, à l’intérieur de la Communauté anglicane, il reste beaucoup de « traditionalistes », en particulier dans le Sud et en Orient, mais la tendance libérale est également tout à fait remarquable, surtout en Occident et dans le Nord. Des protestations contre le libéralisme continuent de se faire entendre chez les anglicans, comme lors de la seconde Conférence de tous les évêques d’Afrique qui s’est tenue à la fin août. Le document final de la Conférence a notamment déclaré: « Nous affirmons la norme biblique de la famille comme ayant le mariage entre un homme et une femme comme sa fondation. L’un des objectifs du mariage est la procréation des enfants dont certains se développent pour devenir les leaders de demain ».

Parmi les indications vives de désaccord au sein de la communauté anglicane (j’hésite à dire «schisme») est le fait que près de 200 évêques anglicans ont refusé de participer à la Conférence de Lambeth de 2008. J’étais là en tant qu’observateur de l’Eglise orthodoxe russe et pouvais voir les diverses manifestations des différences profondes et douloureuses parmi les anglicans.

Aujourd’hui, le dialogue entre orthodoxes et anglicans a lui-même menacé. Cela est particulièrement lamentable parce que ce dialogue a eu une longue et riche histoire, à commencer par les nombreux entretiens à différents niveaux qui ont eu lieu entre les orthodoxes et les anglicans depuis le 17ème siècle. Au 19ème siècle, après la fondation par les anglicans des évêchés de Jérusalem en 1841 et de Gibraltar en 1842, des réunions ont eu lieu et les relations ont été établies entre les représentants de l’Église d’Angleterre et de l’Eglise épiscopale aux Etats-Unis et l’Eglise orthodoxe. Le premier message officiel fut une lettre de l’archevêque de Canterbury Howley (1828-1848) au patriarche de Constantinople en 1840, assurant aux hiérarques orthodoxes que les anglicans ne s’engageront jamais dans le prosélytisme et lançant un appel à la coopération dans un esprit d’amour chrétien.

En 1868 fut tenue la première Conférence de Lambeth. Agissant au nom de l’archevêque de Canterbury Tait, cette Conférence a envoyé un message, écrit dans un esprit d’amour chrétien et d’amitié, aux patriarches et aux évêques de l’Eglise orthodoxe. Cette même année, à la demande de l’archevêque de Canterbury, le patriarche Grégoire VI de Constantinople à autorisé le clergé orthodoxe à administrer le rite des funérailles pour les anglicans si un prêtre de l’Eglise d’Angleterre n’était pas disponible.

Le second accord a été fait en 1874 quand le patriarche Joachim II de Constantinople a donné la permission au clergé orthodoxe de baptiser et marier les anglicans. Ces accords ont été des développements exceptionnels dans l’histoire des relations entre les Eglises d’Orient et d’Occident.

Entre 1874 et 1875, les représentants de l’Eglise orthodoxe, les anglicans et les vieux-catholiques se sont réunis pour la première fois lors des Conférences de Bonn pour discuter de questions telles que le Filioque, l’autorité des Conciles œcuméniques et la validité du sacerdoce anglican. En 1898, l’évêque de Salisbury Wordsworth, en vertu d’une résolution de la 4ème Conférence de Lambeth en 1887 sur la nécessité d’intensifier les relations avec l’Église orthodoxe et de mettre en place un comité spécial pour cela, rendis visite au Patriarche de Constantinople Constantin V et à d’autres hiérarques. Le Patriarche Constantin nomma une commission spéciale pour étudier la confession anglicane. Dans les années qui suivirent, Frederick Temple et Constantin V initièrent une correspondance régulière.

À la Conférence de Lambeth de 1930, après que les anglicans acquiescent pour l’essentiel à l’affirmation orthodoxe que la communion dans les sacrements devrait être précédée par l’unité dans la doctrine, il a été décidé de mettre en place une Commission doctrinale mixte anglicane-orthodoxe, qui comprenait des représentants du Patriarcat de Constantinople et de l’Église d’Angleterre. La Commission a commencé à travailler en 1931. La Conférence de Lambeth de 1948 a apporté son soutien unanime à la poursuite du développement des relations avec les orthodoxes.

Après la Seconde Guerre mondiale, le dialogue entre nos Églises a été repris en 1965. L’étape moderne dans le dialogue anglican-orthodoxe a été ouverte par une visite de l’Archevêque Michael Ramsey au Patriarche Athénagoras (Spirou) de Constantinople en 1962. Les chefs des deux Églises sont venus à un accord sur la nécessité de rétablir la Commission théologique mixte pour l’étude des différences doctrinales qui avaient bloqué les progrès vers l’unité commencés au 19ème siècle et au cours de la première moitié du 20ème siècle.

En novembre 1964, la 3ème Conférence pan-orthodoxe de Rhodes a discuté, entre autres choses, des relations avec les Églises d’Occident. La question d’établir des relations avec Canterbury n’a pas soulevé de difficultés. Il a été convenu à l’unanimité qu’«une commission inter-orthodoxe théologique devait être établie immédiatement, composée d’experts théologiques de chaque Église orthodoxe». Après des rencontres préliminaires et des discussions, un dialogue a commencé en 1976. Une session ordinaire de ce dialogue a achevé ses travaux il y a seulement quelques jours.

Nous sommes préoccupés par le sort de ce dialogue. Nous apprécions la proposition de l’archevêque Rowan Williams faite cette année d’exclure du dialogue les églises anglicane qui ont omis de respecter le moratoire sur l’ordination des homosexuels ouverts. Mais nous considérons cette proposition comme pas tout à fait suffisante pour sauver le dialogue à partir d’un effondrement qui s’approche. Le dialogue est voué à la fermeture, si la libéralisation effrénée des valeurs chrétiennes se poursuit dans de nombreuses communautés du monde anglican.

Nous sommes également préoccupés par le sort des relations bilatérales entre l’Eglise orthodoxe russe et l’Église d’Angleterre. Les contacts entre l’Eglise russe et l’Église anglicane ont commencé dès le 19ème siècle. En 1912, le Saint Synode a adopté les statuts d’une Société des Zélotes de l’unité entre les orthodoxes de l’Orient et les Églises anglicane. En 1914, une Commission synodale a été constituée pour étudier les interrelations avec l’Eglise anglicane. En mai 1922, lorsque le patriarche Tikhon a été emprisonné, l’archevêque de Canterbury Randall Davidson a protesté auprès du gouvernement soviétique contre la persécution de l’Eglise. L’archevêque a soulevé cette question à deux reprises au Parlement et a prié instamment le gouvernement britannique de faire pression sur les autorités soviétiques (Note de Kerson).

Les relations entre l’Eglise russe et l’Église d’Angleterre ont été renforcées par la visite de l’archevêque d’York Cyril Garbett à Moscou en 1943. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les relations entre nos Eglises et les contacts sont devenus réguliers.

Les premières difficultés en rapport avec l’Église d’Angleterre apparurent en 1992 lorsque son synode général accepta d’ordonner des femmes à la prêtrise. Le Département des relations ecclésiastiques extérieures de l’Eglise orthodoxe russe publia une déclaration officielle exprimant son regret et son inquiétude suscités par cette décision en contradiction avec la tradition de l’Église primitive.

On peut se demander pourquoi notre Église s’est sentie totalement concernée par cette question ? Au début des années 90, le monde protestant avait déjà ordonné pasteurs de nombreuses femmes et même des évêques femmes. Mais l’unique point ici est que la communauté anglicane avait longtemps tenté un rapprochement avec l’Eglise orthodoxe. Beaucoup de chrétiens orthodoxes ont reconnu l’existence de la continuité apostolique de l’anglicanisme. Depuis le 19ème siècle, les membres anglicans de l’Association des Eglises orientales ont demandé la « reconnaissance mutuelle » avec l’Eglise orthodoxe et ses membres ont estimé que «les deux Eglises avaient préservé la continuité apostolique et la vraie foi dans le Sauveur, et devrait accepter l’autre dans la pleine communion de prières et de sacrements ».

Beaucoup de choses ont changé depuis. L’introduction de la prêtrise des femmes dans l’Église d’Angleterre a été suivie par des discussions sur l’épiscopat féminin. En réponse à la décision positive faite par le Synode général de l’Eglise d’Angleterre sur cette question, le Département des relations ecclésiastiques extérieures a publié une nouvelle déclaration en disant que cette décision a considérablement compliqué le dialogue « avec les anglicans pour les chrétiens orthodoxes» et «a repoussé l’anglicanisme loin de l’Eglise orthodoxe et a contribué à la division de la chrétienté en outre dans son ensemble ».

Nous avons étudié les documents préparatoires à la décision relative à l’épiscopat des femmes et nous avons été frappés par la conviction exprimée dans ceux-ci, que même si l’épiscopat des femmes était introduit, les contacts œcuméniques avec l’Eglise catholique et les Églises orthodoxes ne cesseraient pas. Qu’est-ce qui rend les auteurs de ces documents si certains d’eux ? Il y a une seconde déclaration controversée. Le même document fait valoir que, malgré un refroidissement possible dans les relations avec les catholiques et les orthodoxes, l’Eglise d’Angleterre renforcerait et élargirait ses relations avec l’Église méthodiste et l’Eglise luthérienne de Norvège et la Suède. En d’autres termes, l’introduction de l’épiscopat féminin « apportera des gains et des pertes». La question se pose : le coût de ces pertes n’est-il pas trop élevé ? Je peux dire avec certitude que l’introduction de l’épiscopat féminin exclut même la possibilité théorique pour les orthodoxes de reconnaître la continuité apostolique de la hiérarchie anglicane.

Nous sommes également extrêmement préoccupés et déçus par d’autres processus qui se manifestent dans les églises de la Communion anglicane. Certaines églises protestantes et anglicanes ont renié les valeurs morales chrétiennes de base, en donnant une bénédiction publique aux unions de même sexe et en ordonnant des homosexuels en tant que prêtres et évêques. De nombreuses communautés protestantes et anglicanes refusent de prêcher les valeurs chrétiennes morales dans la société laïque et préfèrent s’adapter aux normes du monde.

Notre Eglise doit rompre ses relations avec ces églises et ces communautés qui foulent aux pieds les principes de l’éthique chrétienne et la morale traditionnelle. Ici, nous défendons une position ferme basée sur l’Ecriture sainte.

En 2003, l’Eglise orthodoxe russe a dû suspendre ses contacts avec l’Église épiscopale des États-Unis en raison du fait que cette église avait consacré à un auto-proclamé homosexuel, Jim Robertson, comme évêque. Le Département des relations ecclésiastiques extérieures a fait une déclaration spéciale déplorant ce fait comme anti-chrétien et blasphématoire. En outre, le Saint-Synode de l’Église a décidé de suspendre les travaux du Comité mixte de coordination pour la coopération entre l’Eglise orthodoxe russe et l’Église épiscopale des États-Unis, qui avait travaillé avec beaucoup de succès pendant de nombreuses années. La situation s’est aggravée quand une femme évêque a été installé en tant que chef de l’Eglise épiscopale aux Etats-Unis en 2006 et une lesbienne a été placé sur la chaire épiscopale de Los Angeles en 2010.

Des raisons similaires sont à l’origine de la rupture de nos relations avec l’Eglise de Suède en 2005, lorsque cette Eglise a pris une décision de bénir les « mariages » de même sexe. Et récemment, la lesbienne Eva Brunne est devenu l’ « évêque »de Stockholm.

Que peuvent dire ces Eglises à leurs fidèles et à la société laïque? Quel type de lumière font-elles briller sur le monde (cf. Mt. 5:14) ? Quel est leur «sel» ? Je crains que les paroles du Christ puissent leur être appliquées : Si le sel perd sa saveur, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon à rien, sauf à être jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes (Matth. 5:13).

Nous sommes conscients des arguments utilisés par les partisans des innovations libérales ci-dessus mentionnées. La Tradition n’a pas d’autorité pour eux. Ils croient que pour rendre les mots de l’Ecriture sainte applicable à la modernité, ceux-ci doivent être «actualisé», c’est, examinés et interprétés d’une manière appropriée, «moderne» d’esprit. La sainte Tradition est entendue comme une opportunité pour l’Eglise d’être réformée et renouvelée en permanence et à penser de façon critique.

Les orthodoxes, cependant, ont une compréhension différente de la sainte Tradition. Elle est bien exprimée dans les paroles de Vladimir Lossky: «La Tradition est la vie de l’Esprit Saint dans l’Eglise – la vie donnant à chaque membre du Corps du Christ la capacité d’entendre, d’accepter et de savoir la vérité dans son éclat intrinsèque, pas à la lumière naturelle de la raison humaine ».

Il est impossible de passer sous silence le libéralisme et le relativisme qui sont devenus si caractéristiques de la théologie anglicane d’aujourd’hui. Depuis l’époque de l’archevêque Michael Ramsay de Canterbury, l’Eglise d’Angleterre a vu l’émergence du soit-disant modernisme qui a rejeté les fondements même du christianisme comme une religion d’un Dieu révélé. L’un de ses représentants les plus éloquents fut l’évêque anglican de Woolwich, le Dr I.A.T. Robinson, l’auteur du livre à sensation Honest to God. La vision du monde de l’évêque de Woolwich peut être décrite comme un «athéisme chrétien». En effet, il rejetait l’existence d’un Dieu personnel, du Créateur du monde et de la Providence. Il a également nié l’existence du monde spirituel en général et de la vie future, en particulier. On doit admettre que ces points de vue a suscité des protestations de la part de certains évêques anglicans, dirigée par l’archevêque Michael Ramsey de Canterbury.

Il convient de rappeler ici les paroles de Sa Sainteté Cyril, Patriarche de Moscou et de toutes les Russies, à la Conférence des évêques en février 2010. En ce qui concerne les nouveautés libérales introduites par certaines communautés protestantes, il a déclaré : «Ce qui s’est passé ne révèle que trop clairement une différence fondamentale entre l’orthodoxie et le protestantisme. Le principal problème situé à la base de cette différence est que l’orthodoxie sauvegarde la norme de la foi apostolique et l’ordre tel que fixé dans la Sainte Tradition de l’Église, et considère comme sa tâche d’actualiser cette norme en permanence pour l’accomplissement des tâches pastorales et missionnaires. De l’autre côté, dans le protestantisme, la même tâche permet un développement théologique qui peut remodeler cette même norme. De toute évidence, la recherche du consensus doctrinal, comme c’était le cas en ce qui concerne le Baptême, l’Eucharistie, l’Ordre dans le dialogue multilatéral amorcé par le Conseil œcuménique des Eglises, a perdu son sens précisément parce que le consensus peut être menacée ou être détruit par l’innovation ou l’interprétation qui mettra au défi le sens même de ces accords ».

Malheureusement, ce que Sa Sainteté le Patriarche dit sur le protestantisme peut être appliquée également à de nombreuses communautés anglicanes. Dans le 19ème et 20ème siècles, les communautés orthodoxes discutèrent sérieusement sur la reconnaissance du sacerdoce fondée sur la reconnaissance de sa continuité apostolique. Maintenant, nous sommes très loin de cela. Et l’écart entre les anglicans libéraux et les orthodoxes ne cesse de croître.

L’une des priorités dans le travail de l’Eglise russe est aujourd’hui de témoigner de l’importance éternelle de la spiritualité chrétienne et des valeurs morales dans la vie de la société moderne. En 2000, notre Eglise a déjà apporté une contribution considérable à la systématisation de la tradition orthodoxe en ce domaine en adoptant une base de conception sociale et, en 2008, un enseignement de base sur la dignité humaine, la liberté et les droits. Aujourd’hui, l’Eglise est engagée dans des travaux importants de compilation d’une catéchèse qui donnera un exposé clair de la doctrine chrétienne, d’une part, et qui répondra aux problèmes brûlants de ce jour, de l’autre.

Nous ne sommes pas seuls dans notre souci de la préservation des valeurs chrétiennes. Les tendances libérales dans les communautés protestantes et anglicanes présentent un défi pour les chrétiens et les églises qui sont restés fidèles aux principes de l’Evangile dans la doctrine, l’organisation ecclésiale et la morale. Très certainement, nous cherchons à trouver des alliés pour s’opposer à la destruction de l’essence même du christianisme. L’une des tâches principales de notre travail inter-chrétien d’aujourd’hui est d’unir les efforts des chrétiens pour la construction d’un système de solidarité sur la base de la morale évangélique en Europe et dans le monde. Nos positions sont partagées par l’Église catholique romaine, avec laquelle nous avons tenu de nombreuses réunions et conférences. Ensemble, nous étudions la possibilité d’établir une alliance entre orthodoxes et catholiques en Europe pour défendre les valeurs traditionnelles du christianisme. L’objectif principal de cette alliance serait de rétablir une âme chrétienne de l’Europe. Nous devrions être engagés dans la défense commune des valeurs chrétiennes contre la laïcité et le relativisme.

Aujourd’hui, les pays européens ont plus que jamais besoin de renforcer l’éducation morale, car son absence entraîne des conséquences graves telles que l’accélération de l’extrémisme, une baisse de la natalité, la pollution de l’environnement et la violence. Les principes de la responsabilité morale et de la liberté devraient être systématiquement mis en œuvre dans toutes les sphères de la vie l’homme – politique, économie, éducation, science, culture
et médias.

Nous ne devons pas garder le silence et regarder avec indifférence un monde qui se détériore progressivement. Nous devrions plutôt proclamer la morale chrétienne et de l’enseigner ouvertement non seulement dans nos églises, mais aussi dans les espaces publics, y compris les écoles laïques, les universités et dans l’arène des médias de masse. Nous ne prétendons pas imposer notre point de vue sur toute personne mais nous voulons que notre voix soit entendue par ceux qui veulent l’entendre. Malheureusement, nous ne pouvons pas convertir le monde entier à Dieu, mais nous devrions au moins faire réfléchir les gens sur le sens de la vie et l’existence d’un absolu spirituel et de valeurs morales. Nous sommes obligés de témoigner de la vraie foi, toujours et partout de sorte qu’au moins certains puissent être sauvée (1 Cor. 9:22).

Pour résumer, je tiens à affirmer que nous avons aujourd’hui de nouvelles divisions de la chrétienté, non seulement théologiques, mais aussi éthiques. Malheureusement, de nombreuses communautés chrétiennes, qui maintinrent autrefois des relations fraternelles avec les Eglises orthodoxes pendant de nombreuses années et ont été en dialogue avec elles, se sont montrés incapables ou peu désireuses d’assumer les obligations découlant de notre dialogue. Nous accompagnons nos réactions à ces développements avec les assurances de notre respect pour le droit de toutes les églises et communautés à prendre les décisions qu’elles jugent nécessaires. Pourtant, parallèlement, nous affirmons avec tristesse que ni le dialogue officiel, ni les très précieuses relations et les contacts pris dans le passé avec certains de nos frères & sœurs anglicans ne peuvent survivre aux étapes qui les ont éloigné très loin de la Tradition commune de l’Eglise Chrétienne.

Au nom de l’Eglise orthodoxe russe, je voudrais souligner que nous continuons d’être pleinement engagé dans le dialogue avec l’Église anglicane et ferons de notre mieux pour maintenir ce dialogue. Nous n’avons pas trahi notre attachement au dialogue. Cependant, nous pensons que beaucoup de nos frères et sœurs anglicans trahissent notre témoignage commun en abandonnant les valeurs chrétiennes traditionnelles et en les remplaçant par des normes contemporaines, laïques. J’espère beaucoup que la position officielle de l’Église anglicane sur les questions théologiques, ecclésiologiques et morales sera en harmonie avec la tradition de l’Antique Église indivise et que les dirigeants anglicans ne céderont pas à la pression venant des libéraux.

Nos fidèles chérissent le souvenir de la visite effectuée par la délégation de l’Église de Angleterre conduite par l’archevêque Cyril
Garbett à Moscou en 1943. Le patriarche d’alors, Serge, qui avait été intronisé quelques jours plus tôt, avait fait remarquer que «les Anglais sont venus défier les dangers du voyage à une époque de guerre et toute la sournoiserie de l’ennemi ». S’adressant lui-même à l’archevêque Garbett, il déclara que «Le vieil archevêque nous enseigne par son exemple d’oublier ses propres intérêts et commodités, et sa propre vie lorsque la vérité du Christ et le bien de nos prochain nous appellent à servir des valeurs plus élevées ».

Aujourd’hui aussi, nous n’abandonnons pas l’amour chrétien pour nos frères et sœurs anglicans. Nous n’abandonnons pas l’espoir qu’une fois qu’ils auront défié tous les dangers au cours de ces dures années de guerre, ils partageront avec nous cette confiance en notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ, qui repose sur le solide fondement de la foi des saints Apôtres, des Pères du Concile de Nicée et de la tradition de l’Église indivise. »

Source anglaise du discours : Society of St John Chrysostom.
Consulter aussi cet article de The Hermeneutic of Continuity.

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